Des ouvriers éparpillés dans les étages du Palais du
gouvernement placent des cadres aux fenêtres. D’autres au sol
déchargent des vitres. Les carreaux sont acheminés par l’entrée du
bureau d’ordre fraîchement cimenté.
À quelques pas, en bordure d’un
pavé de fleurs, des gerbes de roses sont posées. La plus grande vient
d’être déposée par le Chef du gouvernement et le ministre de
l’Intérieur. Elle est entourée de petits bouquets que les familles des
victimes, ayant pris part à la cérémonie de recueillement, ont
apportés.
Des militants d’une des ailes du MDS ont aussi leur
couronne. Surpris par la parade des officiels (d’autres ministres
accompagnaient le chef de l’Exécutif), ils ont pensé un instant annuler
cette escale et se rendre directement au commissariat de Bab Ezzouar.
Mais, ils se sont ravisés. Aux environs de 11 heures, une procession à
laquelle s’est jointe Chérifa Khaddar, présidente de Djazaïrouna,
association des familles des victimes du terrorisme de la Mitidja,
franchit le périmètre de sécurité, aux alentours du siège de la
chefferie du gouvernement.
Empêchés par les policiers, une heure
plutôt, d’approcher les membres du gouvernement, les journalistes ont
eu accès aux lieux par la suite. Outre les fleurs, des bougies allumées
sont déposées sur les rebords du pavé. Une minute de silence est
observée. Aussitôt après fusent des slogans hostiles au terrorisme. Le
répertoire de la décennie noire est exhumé. “Dhebahine, qetaline ou
qoulou moudjahidine” (tueurs, égorgeurs et se disent moudjahidine),
scandent les militants du MDS. Dans la rue, encore interdite à la
circulation, point de badauds.
Les policiers, les pompiers et les
maçons étant les uniques spectateurs. La commémoration se déroule
presque à huis clos. Mercredi dernier, presque à la même heure, à cet
endroit précis, des morts gisaient sur le sol.
Des employés du
Palais du gouvernement, des agents de sécurité postés à l’entrée
notamment, des automobilistes et des piétons étaient soufflés par
l’explosion de la voiture piégée. Kamikaze malgré lui, son conducteur
était sacrifié par ses pairs. Selon le ministre de l’Intérieur, un
système de télécommande avait été actionné à distance.
Dans les
débris, la suie et la poussière, les secours ont extirpé les dépouilles
d’une trentaine de victimes (d’après un bilan définitif des attentats).
À Bab Ezzouar, entre les deux véhicules bourrés d’explosifs distants
d’une soixantaine de mètres, les pompiers ont retiré de la ferraille
des voitures des automobilistes, pris dans la souricière. Trois des
victimes étaient leurs collègues. Ils rentraient à la caserne
limitrophe du siège de la Sûreté urbaine quand la mort a barré leur
chemin. Jeudi est un jour d’enterrements. La prière de l’absent est
accomplie dans toutes les mosquées du pays.
Dans leurs prêches,
les imams condamnent le terrorisme. L’ENTV fait appel à Youcef El
Karadaoui, cheikh d’El-Azhar, pour stigmatiser les prophètes de
l’apocalypse. Tour à tour, Abdelaziz Belkhadem et Nouredinne Yazid
Zerhouni meublent aussi la lucarne.
Le Chef du gouvernement
apparaît à la télévision au soir du double attentat. Le visage blême et
les traits tirés, il annonce que le président de la République a réuni
la commission de sécurité. Le lendemain, le ministre de l’Intérieur,
sans donner de détails sur les résultats de cette rencontre, assure que
le dispositif de sécurité sera renforcé. Par ailleurs, il appelle les
citoyens à être vigilants et à défendre la réconciliation nationale. La
population est sous le choc. Elle a peur. Samedi, alors que la ville
assommée reprend peu à peu ses esprits, de nouveaux attentats kamikazes
ont lieu à Casablanca, au Maroc. Intra-muros, un avertissement de
l’ambassade américaine à Alger fait souffler un vent de panique. Selon
les responsables de la mission, des attentats à la bombe étaient
prévisibles dans la journée à la Grande-Poste et au siège de la
télévision, au boulevard des Martyrs. L’information est relayée par les
chaînes satellitaires étrangères. Affolés, les Algérois se réfugient
chez eux. De son côté, le gouvernement garde le silence pendant 24
heures. Yazid Zerhouni réagit en premier. Pressé par les journalistes,
pendant la tournée du président Abdelaziz Bouteflika, dimanche à Alger,
il parle de “manœuvre”. “Qui a intérêt à semer la panique dans le pays
?” s’est-il demandé. Dans l’après-midi, le ministère des Affaires
étrangères convoque le chargé d’affaires de la représentation
américaine. L’alerte est qualifiée de “fantaisiste et inacceptable”. De
même, des allégations, selon lesquelles les terroristes sont des
étrangers, sont réfutées par le ministre de l’Intérieur.
“Malheureusement, ils sont tous Algériens”, révèle-t-il. Deux sont
connus pour être des repris de justice.
L’un habite un bidonville
de Bourouba. Le second au Télemly. Les anciens fiefs terroristes sont
épouillés par les services de sécurité. L’esprit de civisme des
citoyens est mis à contribution. Un numéro vert est mis à leur
disposition. “Il faut compter sur le peuple. Il doit bouger”, martèle
le chef de l’État. Attendu dans un discours à la nation, M. Bouteflika
se contente de brefs messages distillés lors de sa visite aux victimes
des attentats, au CHU Mustapha-Pacha.
Lundi à Constantine, il
accomplit une tournée marathonienne ponctuée par une série
d’inaugurations, mais confie à son Chef du gouvernement la mission de
faire une allocution à sa place, à l’université Émir-Abdelkader, à
l’occasion de la Journée du savoir.
Le peuple que le Président
veut “voir bouger” manifeste mardi. Les caméras de l’ENTV font le
compte-rendu des marches organisées dans plusieurs wilayas du pays et
d’un rassemblement à la coupole du 5-Juillet à Alger. Officiellement,
ces messes sont une initiative des partis politiques et de la société
civile pour condamner le terrorisme et soutenir la réconciliation
nationale.
Samia Lokmane liberte(19-04-2007)